Soulèvements populaires, contestations sociales transnationales, insurrections et terrorismes, surenchères populistes et retour des nationalismes, reflux de l’autoritarisme politique, guerres civiles et conflits gelés dans le temps, rancœurs nouvelles comme plus anciennes, hostilités numériques : jamais la colère n’a semblé plus vive et intimement liée aux transformations géopolitiques qu’exacerbe le contexte pandémique. Jour après jour ainsi, cette colère globale se trouve amplifiée par un déluge d’événements qui se succèdent depuis les premiers cas d’infection au SARS-COV-2 recensés à Wuhan, dans la province chinoise du Hubei, au cours de l’hiver 2019 (2).
Circulant sur tous les territoires, et dans tous les espaces, le virus et l’échauffement qu’il cause, au sens propre comme figuré, rebattent en profondeur les rapports de force sociaux, politiques, économiques, identitaires et culturels. Depuis la fin du confinement, cette émotion primordiale ne s’est d’ailleurs guère tarie dans un pays comme la France mais, au contraire, étendue de manière exponentielle (3). Elle s’exprime tantôt au grand jour (colère noire des médecins et soignants, des travailleurs, des syndicats), tantôt de façon plus discrète, dans les entrefilets d’une actualité constamment bousculée. « Rage mondiale », « ressentiment global », « haine généralisée » : les formules qui tentent de déchiffrer ce tumulte sont légion. Si elle avait certes déjà fait son retour à l’aube du nouveau millénaire, la colère menace à présent de terrasser le monde.
À plus d’un titre, la crise fait figure d’« envers » d’une globalisation qui n’est plus si heureuse qu’il n’y paraissait (4). À en croire ses plus farouches détracteurs, le coronavirus dévoilerait d’ailleurs la réalité d’un système international fondé sur la prédation, lequel, en supplantant la primauté des États-nations et leur souveraineté dès la décennie 1990, n’aurait généré qu’ire et ressentiment parmi les peuples. Par l’érosion des cultures, des traditions et des solidarités, ce système aurait favorisé l’émergence d’oligarchies plus préoccupées par le maintien de leurs privilèges que par la sauvegarde de l’intérêt collectif. Il aurait généralisé le consumérisme en creusant inégalités et injustices, et paradoxalement accéléré le morcellement de la géographie sous une apparente uniformité.