Fairphone est une entreprise sociale néerlandaise qui a tenté de relever le défi de produire des appareils high tech (smartphones notamment) sans utiliser de minerais susceptibles d’alimenter des conflits en RDC ou biens extraits de zones où des violations des Droits de l’Homme ont été identifiées. Le contrôle des minerais s’opère de manière très rigoureuse et en collaboration avec la Conflict-Free Tin Initiative ainsi que le projet Solution for Hope[42]. Les minerais sont extraits de mines africaines qui ne sont pas détenues et exploitées par des groupes armés. Primé en tant que startup européenne à la plus forte croissance en 2015[43] , Fairphone commercialise aujourd’hui pour 525€ son deuxième modèle : le Fairphone 2, doté d’une capacité pouvant aller jusqu’à 32Go[44].
Au-delà de garantir un approvisionnement équitable pour ses composants, Fairphone se démarque des marques « classiques » de smartphones en appliquant les solutions précédemment cités : elle oeuvre à la réduction des déchets électroniques en proposant de recycler d’anciens téléphones, en collaboration avec l’ONG néerlandaise Closing The Loop (active principalement au Ghana)[45] d’une part; et d’autre part, avec son FairPhone 2, elle tente d’appliquer la construction modulaire (sans atteindre une échelle de production industrielle visant la grande distribution) favorisant ainsi une consommation raisonnée des composants électroniques.
Nous finirons cette étude sur une note positive, en soulignant l’idée, déjà soutenue par Paul Williams en 2011[46] que la causalité entre présence de ressources naturelles convoitées et conflits n’est pas automatique en Afrique.
Ainsi, s’il semble difficile de trouver une solution « miracle » au fléau des terres-rares, attachons-nous à nous faire les porte-voix des populations locales largement marginalisées et à proposer ces maitres-mots, qui, espérons-le, seront la base des réflexions politiques et économiques des années à venir : sensibilisation, traçabilité et consommation raisonnée de nos équipements électroniques.
Si les solutions précédemment citées peuvent, en partie constituer des alternatives à l’exploitation de mines « en conflits », comme celle de Bisié en RDC, il est nécessaire de les compléter par des actions politiques et une véritable gouvernance de ces zones au niveau local. En effet, il est essentiel de trouver une activité de remplacement pour les travailleurs dépendants du revenu des mines illégales. Il s’agit de renforcer le pouvoir de l’Etat (en l’occurrence, congolais) pour qu’il puisse permettre une véritable régulation des tensions locales et une meilleure redistribution des richesses, l’idée étant de sortir d’une économie rentière et d’œuvrer à la montée en gamme de la production congolaise (et envisager notamment la production de produits transformés).
Start-ups, chercheurs, journalistes, politiciens, ONG, Nations-unies… autant d’acteurs impliqués dans le combat pour une consommation plus soutenable et équitable des appareils électroniques dont nous sommes actuellement dépendants. En espérant avoir éveillé certaines consciences, cet article a vocation à enjoindre les citoyens du Monde à devenir les derniers acteurs de ce mouvement en élaborant des choix raisonnés de consommation, et en cherchant à s’émanciper du travail de communication et de tentation effectué par les équipes marketing de certaines des entreprises dont la motivation financière place l’objet au centre de ses préoccupations, bien loin devant l’humain et l’environnement.
Francesca Corlay (étudiante à l’ILERI) et Justine VAN MINDEN (étudiante à SciencesPo Aix – Cyberwings), sous la direction de Julien Valiente, professeur à l’ILERI.
[1] Selon Sciences Avenir, dans un article d’Audrey Bohely, publié le 19.09.2014
[2] D’après une infographie de France nature environnement du Pays de la Loire, basée sur des informations croisées de Oeko-Institut, d’Ecoinfo et du Sénat.
[3] Selon le Fragile State Index de 2018, la RDC est placée au 6ème rang des pays les plus fragiles au regard de ses déstabilisations économiques politiques et sociales, juste après le Yémen, la Syrie et la Centrafrique.
[4] D’après le classement 2017 de l’ONG Transparency International, la RDC se place au 161ème rang (sur 180) des pays les plus respectueux des normes de transparence et d’anti-corruption établies par les instances financières de l’ONU.
[5] D’après l’indice CSI 2018 des droits des travailleurs dans le monde, la RDC appartient à la catégorie 4 (sur 5), faisant partie des pays où sont constatées des « violations systématiques des droits ».
[6] Selon un article de Courrier International en date du 25.10.16 intitulé « République démocratique du Congo. Le scandaleux business du cobalt », et basé sur une étude du Washington Post parue le 30.09.2016 intitulée « The cobalt pipeline », l’entreprise Chinoise d’extraction Congo Dongfgang International Mining est en situation de quasi monopole sur le territoire (90 % de la production), et fournit presque toutes les grandes multinationales.
[7] Résultats complets de l’études disponibles dans l’article « Les géants industriels ne font pas le nécessaire face aux allégations de travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement en cobalt pour les batteries » paru le 15.11.17 sur le site d’Amnesty International. L’infographie ci-dessus présentée se base sur les résultats de cette enquête.
[8] Sur la partie historique, se référer à : Congo, une histoire, David Van Reybrouck, prix Médicis 2010, enseigné par le Pr. Nicolas Badalassi, enseignant-chercheur à l’IEP d’Aix-en-Provence.
[9] Selon l’atlas en ligne des populations mondiales, la densité de population rwandaise moyenne est estimée à 459 habitants/km2 (au 1er mars 2018) tandis que la densité de population en RDC est estimée à 39,5 habitants/km2 (au 19 novembre 2018).
[10] Selon l’expression de Marine Le Ster, dans son article « L’Est de la République Démocratique du Congo: du « scandale géologique » au scandale politique, économique, humanitaire… », paru aux Cahiers d’Outre-Mer, en 2011.
[11] Acronyme de Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo , rebaptisée Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) le 1er juillet 2010
[12] la liste officielle des puissances étrangères ayant fournis des armes aux belligérants lors de la seconde guerre du Congo (1997-2003) et après celle-ci, est difficile à établir. Dans un rapport chiadé de 2005 de l’ONG Amnesty International intitulé « RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO (RDC) Le flux d’armes à destination de l’est » (pp 42-49), sont identifiés de nombreux pays (parmi lesquels Etats-Unis, Chine, Israel, Allemagne, France, Royaume-Uni, pays d’Europe de l’Est, Balkans… liste non exhaustive) ainsi que les quantités de munitions livrées en RDC, constituant notamment une violation partielle de l’embargo sur les armes instauré en 2003 par le Conseil de Sécurité de l’ONU. Pour consulterce rapport : https://www.amnesty.org/download/Documents/80000/afr620062005fr.pdf
[13] Stratagème dénoncé sans filtre dans le documentaire paru en 2010 « Blood in the mobile » de Frank Piasecki Poulsen
[14] Le journal indépendant Le Congolais, publie en 2013 une liste des 85 entreprises multinationales « soutenant la guerre en RDC », reprenant un rapport de 2003 du HCDH de l’ONU, au regard de la période 1993-2003.
[15] Ibid. p.5 (documentaire paru en 2010 « Blood in the mobile » de Frank Piasecki Poulsen)
[16] Selon le rapport de décembre 2014 de l’Ecole française de guerre économique, intitulé « Stratégies d’influences autour des ressources minières -Cuivre, Cobalt, Coltan- dans l’Est de la République Démocratique du Congo», sous la direction de Christian Harbulot
[17] Cours proposés par Impag (Swz) sur une base journalière, en ligne.
[18] Dans son article « Dans les usines à smartphones, certains meurent, tous sont brisés » paru en 2016, l’Obs en partenariat avec Rue 89 dénonce les conditions de travail déplorables des employés de l’usine Foxconn de Shenzen.
[19] D’après une enquête des Observateurs de France 24, réalisée en janvier 2018 par Guylain Balume
[20] Se référer aux prévisions d’exploitation du Ministère des mines de la RDC, 10 mai 2018, disponible sur : https://www.mines-rdc.cd/fr/index.php/2018/05/10/alphamin-bisie-mining/
[21] Ibid. p. 5 (documentaire « Blood in the mobile », par Frank Piasecki Poulsen), 2010 (Danemark)
[22] D’après Richard Robinson, directeur général de Alphamin, interviewé par les Observateurs de France 24
[23] Guide pour l’évaluation des EIE de projets miniers, Environmental Law Alliance Worldwide (ELAW), 2010
[24] OCDE, Les incidences sur l’environnement du transport de marchandises (1997)
[25] ce cite recense les campagnes de sensibilisation à la problématique des conflits et de l’exploitation se cachant derrière la production de smartphones et matériels informatiques: http://www.portablesdusang.com
[26] Sur les sanctions et risques encourus par les entreprises qui ne respectent pas la réglementation ITIE : consulter le site de l’organisation https://eiti.org/fr/apropos/methode
[27] « Traxys says quit east Congo to maintain reputation », May 8th 2009, Thomson Reuters[28] Dodd–Frank Wall Street Reform and Consumer Protection Act (Dodd-Frank), July 21st 2010, consultable sur le site officiel de la Commission Américaine pour la Sécurité et les Echanges : https://www.sec.gov/answers/about-lawsshtml.html
[29] Critique formulée par Laura E. Saey, dans « What’s Wrong with Dodd-Frank 1502? Conflict Minerals, Civilian Livelihoods, and the Unintended Consequences of Western Advocacy » – Working Paper 284.
[30] Article « Dood-Frank is an unconstitutional disaster », Phil Kepern pour American Commitment (Lobby US proche du Président Trump).
[31] Article « La RDC s’oppose et met en garde contre la suspension de la loi Dodd-Frank », Kinshasa Times, 08/12/18
[32] (Nous traduisons) de Electronic Industry Citizenship Coalition
[33] (Nous traduisons) de Global e-Sustainability Initiative
[34] Pour accéder à la liste complète des entreprises participant à la CFSI : http://www.responsiblemineralsinitiative.org/about/members-and-collaborations/
[35] Joseph-Gabriel, Daphné. « Your Phone, Coltan and the Business Case for Innovative Sustainable Alternatives. » In Transatlantic Perspectives on Diplomacy and Diversity, edited by Anthony Chase, 171-181. New York: Humanity in Action Press, 2015.
[36] Le cout de l’adhésion peut aller de 7500 à 10 000 $ /an en fonction du statut de l’adhérent. Informations disponibles sur : http://www.responsiblemineralsinitiative.org/about/
[37] liens vers le site officiel de l’entreprise : https://phonebloks.com
[38] L’entreprise Google avait engagé le projet Ara en 2014 dans le but de créer un smartphone sur le modèle PhoneBlocks, mais ce projet a été abandonné. Pour les dernières actualités sur le conceptPhoneBlocks, consulter le blog: http://phonebloksfrance.tumblr.com
[39]Etude réalisée en 2014, où la production totale de déchets s’élevait à 41,8 millions de tonnes. Disponible sur le site de l’Assemblée du PNUE : http://web.unep.org/environmentassembly/fr/
[40] D’après Frédéric Bordage, représentant de Green-It et du Collectif Numérique Responsable, se basant sur les données du Programme des Nations Unies pour l’Environnement.
[41] Fondée en 2010 par Juan Carlos Villatoro, Green Urban Mining est une entreprise basée en Floride spécialiste dans le recyclage des appareils électroniques, dans une approche durable. Plus dedétails sur : http://www.urmining.com/about-us/our-story/
[42] Ces deux projets sont respectivement basés dans le Kivu (RDC) et dans le Katanga et visent en particulier l’extraction d’étain et de tantale.
[43] Prix remis lors de la conférence The Newt Web en 2015. Plus d’informations dans « Tech5: Fairphone named Europe’s fastest-growing startup of 2015 » de Jelle van Wijhe , publié sur le site de The Next Web, le 29 avril 2015.
[44] Voir l’article : « Fairphone 2 : le retour du smartphone équitable », par Romain Thuret, sur lesnumériques.com, 16.06.15
[45] Voir l’article : « Taking Back Phones for a Circular Economy: E-waste in Ghana », sur le blog de Fairphone, de Bibi Bleekemolen, le 21.11.13
[46] Travaux de Paul Williams, « War and conflicts in Africa », 2011