Point veille semaine du 26 mai 2025

02.06.2025

Moscou vers un contrôle des migrants plus intensif ?

Le 5 février 2025, Moscou a voté une loi restreignant l’immigration, de courte ou longue durée. Cette loi permet purement et simplement d’expulser les étrangers jugés en situation irrégulière. La plupart des migrants en Russie viennent d’Asie centrale. En 2024, par exemple, un tiers des migrants venaient du Tadjikistan, en Asie centrale. Cette même année, 80 000 migrants avaient été expulsés car ils n’étaient pas en situation régulière, ce qui représentait déjà deux fois plus que l’année précédente, 2023. Cette loi, passée en 2024, est entrée en vigueur le 5 février 2025. Il est donc facile de penser que les expulsions vont augmenter de manière significative.

 

La loi qui influe énormément sur les migrants ?

Cette loi ne permet pas seulement l’expulsion des personnes immigrées sur le simple jugement, elle exige aussi que les personnes renseignées sur le “registre des personnes contrôlées” transmettent des informations sur leur localisation précise sous forme de photo comportant une géolocalisation. De plus, comme les personnes inscrites à ce registre sont en situation irrégulière au vu de la législation nationale en vigueur, ces personnes ne pourront pas acheter de bien immobilier, conduire de voiture, utiliser des services bancaires, se marier, changer de logement sans autorisation du ministère et voyager en dehors de leur région de résidence. Toutes ces interdictions traduisent un vrai climat de tensions et de peur pour les migrants en Russie.

 

L’attentat au Crocus City Hall en mars 2024

Tout s’est d’ailleurs empiré après l’attentat au Crocus City Hall, en mars 2024, perpétré par des ressortissants du Tadjikistan. Ce drame a nourri la vigilance, pour ne pas dire haine, de la population envers les migrants, on le rappelle, dont le tiers en 2024 venait du Tadjikistan. La population, d’ultradroite surtout, se joint à la Police lors de descentes dans des squats ou lieux jugés propices à la présence de migrants illégaux. Ces militants d’ultradroite se jouent défenseurs d’une Russie attaquée. Bien évidemment, le gouvernement russe utilise cette haine pour détourner sa propre population de la guerre en Ukraine ou encore de l’économie, dont les indicateurs sont au rouge.[1]

 

[1] Moscou durcit sa politique contre l’immigration illégale, Etienne BOUCHE, Courrier international, 10 février 2025

 

La loi additionnelle

 

Peu de temps après la loi promulguant les nombreuses interdictions pour les migrants en situation irrégulière et leur localisation via l’envoi d’une photo avec géolocalisation, une nouvelle loi expérimentale a été votée. Cette loi, qui commencera à être appliquée à partir du 1er septembre 2025, oblige tous les étrangers en séjour temporaire à Moscou et dans sa région à installer une application mobile dans le but d’être géolocalisé en temps réel. Cette mesure est jugée protectrice et “vise à réduire la criminalité et améliorer la sécurité”, selon le président de la Douma, cité par le site économique Vedomosti. Il ajoute que le dispositif, qui est censé durer 4 ans, sera étendu à d’autres régions si ses résultats s’avèrent concluants. Bien évidemment, ce dispositif temporaire contrevient à beaucoup de droits fondamentaux, puisqu’il les interdit tout bonnement. 

Par exemple, le droit de se marier, d’acheter un logement, de posséder ou même conduire un véhicule… Plusieurs millions de personnes sur le territoire moscovite seront affectées par cette loi. De plus, précise le service russophone de la BBC, il suffirait d’une simple erreur humaine, d’un simple bogue pour qu’un individu passe dans la catégorie “en situation irrégulière” et que cette personne voit donc ses droits davantage réduits, avant une expulsion du territoire. En outre, que faire si l’étranger en visite à Moscou ou dans sa région n‘a pas de téléphone ou refuse d’installer l’application ? Le texte de loi n’apporte aucune réponse là-dessus. Selon Alisher Ilkhamov, la Russie tend vers un “État policier”. 

Elle viole en effet sa propre Constitution, mais aussi ses engagements internationaux, elle a signé la Déclaration universelle des droits de l’Homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cette démarche d’accès aux données personnelles, puisqu’en effet, l’application mobile vous demande d’entrer aussi vos données personnelles, notamment votre adresse de résidence dans le pays, a déjà été observée dans le but d’opérer des fuites de données stratégiques, des extorsions ou encore des pressions sur les étrangers dans le but de leur faire signer des contrats militaires, selon l’expert Alisher Ilkhamov.[2] Cette loi vient s’ajouter à la première, ce qui vient renforcer l’appui de Moscou sur les nouveaux immigrants.

[2] A Moscou, les étrangers bientôt soumis à une surveillance géolocalisée, Aruzhan Yeraliyeva, Courrier international, 26 mai 2025

 

Au Nigeria, l’inaction de l’Etat face aux attaques répétées

 

L’Etat de Taraba, dans le nord-est du pays, et le Nigeria dans son ensemble ont subi plusieurs attaques ces dernières semaines. Les villages de Munga et Magani, dans le district de Karim Lamido ont été touchés, selon le gouverneur de l’Etat de Taraba, Agbu Kefas. Plusieurs témoins rapportent que le nombre de morts s’élèverait à 30, même si le Haut-responsable n’a pas donné de chiffres officiels. De plus, des témoins oculaires et survivants de ces attaques ont rapporté au Daily post que la réponse du gouvernement a été lente, et même insuffisante. Ces épisodes de violences viennent jeter un froid sur la campagne de relance économique lancée par l’Etat de Taraba qui a pour but d’attirer de nouveaux investisseurs en se positionnant comme une terre d’accueil.[3]

 

La crise humanitaire peut-elle s’empirer ?

 

À Maiduguri, au nord-est du Nigeria, la situation est déjà bien compliquée, si ce n’est sans rajouter la baisse de l’aide humanitaire. Bien évidemment, cela fait suite aux coupes budgétaires de Donald Trump dans les aides au développement d’une des plus grosses agences d’aide humanitaire au monde, l’USAID (United States Agency for International Development). Selon un article de TOGO+, l’aide américaine d’USAID représentait 368 millions de dollars en 2023. Cela représente un gros manque à gagner pour le Nigeria, qui traversait déjà une crise, d’où l’aide américaine. [4] La population de la région du nord-est du Nigeria souffre notamment de malnutritions infantiles. 

L’arrêt de l’aide américaine laisse des familles entières livrées à elles-mêmes. USAID finançait notamment des programmes nutritionnels, de soins de santé et de distribution alimentaire qui permettaient à des millions de personnes déplacées par le conflit avec Boko Haram de survivre. USAID finançait, par exemple, totalement le programme de renutrition thérapeutique et ambulatoire de l’ONG Mercy Corps. Cela permettait d’aider des enfants, nourrissons en malnutrition, ce qui permettait à des familles entières de ne pas être décimées par la faim. Ce programme de Mercy Corps a été arrêté en février 2025, quand USAID a arrêté de financer le programme, comme beaucoup d’autres. Il reste encore une agence italienne, Intersos, qui essaie de faire tampon avec l'afflux constant de nouveaux cas en soignant les plus graves. 

Mais l’équipe s’en occupant a été réduite à 11 personnes. Selon Trond Jensen, le chef de l’agence humanitaire de l’ONU au Nigeria dépeint une situation critique : 50 % des efforts nutritionnels ont disparu et 70 % des services de santé sont menacés. Il ajoute que le nombre d’enfants dans le besoin a doublé, alors même que la capacité à intervenir a été divisée par deux.[5]

 

La crise économique, déjà bien présente, s’aggrave-t-elle aussi

 

La ville de Maiduguri sert de centre opérationnel pour tous les programmes humanitaires. Le départ des ONG et de leurs employés bouleverse aussi les économies locales, s’étant grandement articulé autour de ces personnes. Les travailleurs du secteur de l’humanitaire ont permis à la ville d’évoluer ces huit, neuf dernières années, créant de l’animation, important des marchandises… De nombreux services se sont construits autour des plus de 280 agences humanitaires, comme les chauffeurs de taxi, les services de sécurité… Maiduguri se démarque des autres villes du Nigéria grâce à sa forte croissance, alors que la plupart des autres stagnent, ce qui entraîne beaucoup de chômage difficile à combattre. 

Pour donner des chiffres de l’activité économique générée par le secteur de l’humanitaire, ce ne sont pas moins de 3.4 milliards de dollars qui ont été prévus en fonds humanitaires entre 2021 et 2024, même si les donations n’ont pas atteint ce seuil. Cette ville, comme la région d’ailleurs, est menacée par le groupe terroriste Boko Haram. Cette pression accrue du groupe terroriste, a amené plus de deux millions de personnes à l’exode et a plongé plusieurs autres millions dans la misère. Comme rappelé précédemment, USAID finançait beaucoup de programmes locaux, en addition de l’OMS ou encore du Programme alimentaire mondial. 

Son brusque arrêt a donc balayé les vies des personnes dans le besoin, des cas les plus graves. Cela est sans compter sur les vies des employés qui se sont vu licencier à la suite de l’arrêt de l’activité d’USAID. Les employés étaient souvent bien payés, plusieurs fois le salaire minimum, ce qui ne représentait pas grand-chose pour les ONG occidentales, mais qui avait changé la vie de nombreux d’employés locaux. De plus, ce bouleversement de niveau de vie avait amené une élévation du niveau de vie de la population de la ville, ce qui avait permis à de nombreux commerces d’ouvrir leurs portes.[6]


 

[3] Pendant que vous dormiez. Guerre en Ukraine, attaques au Nigeria, PSG : les informations de la nuit, Courrier international, le 25 mai 2025 à 5h.

[4] USAID : les pays africains les plus touchés par la suspension de l’aide américaine, TOGO+, le 15 février 2025.

[5] Nord-Est du Nigeria : la crise humanitaire s’aggrave après le gel de l’USAID, Rédaction d'Africanews, le 16 février 2025

[6] A Maiduguri, au Nigeria, toute l’économie locale pâtit du gel de l’aide humanitaire, Zubaida Baba-Ibrahim, Courrier international, le 25 mai 2025

La Pologne, une nation, deux visions du monde et de l’Europe ?

La Pologne a vu un gouvernement nationaliste d’extrême droite prendre fin en 2023 avec les élections parlementaires. Le PiS (Droit et Justice en français) s’est vu éjecter du Gouvernement polonais après y avoir régné près de 8 ans d’affilée, de 2015 à 2023. La Pologne est dans une période d’élections présidentielles, dont le premier tour a déjà eu lieu le dimanche 18 mai. Les résultats en ont étonné plus d’un. En effet, les partis d’extrême droite ont atteint un niveau historiquement élevé, 21%. Les résultats des deux Pologne, celle de Donald Tusk, l’actuel Premier ministre libéral polonais et celle de Jaroslaw Kaczynski, qui mène le parti Droit et justice d’une main de fer, ont été historiquement bas, ne comptabilisant que 60%. En 2010, ils comptabilisaient 80% et 74% encore en 2020. 

Cette baisse drastique explique donc un effacement de la polarisation de la Pologne au profit de la popularisation de l’extrême droite. Il n’y a donc désormais plus deux Pologne, mais trois. Si on prend en compte les résultats cumulés de la droite dure, on arrive à 53% des voix, ce qui est énorme. Le parti au pouvoir (gauche et chrétiens-démocrates) arbore des visions pro-européennes qui ne plaisent pas à tout le monde. Le Gouvernement et son représentant à l’élection présidentielle, Rafal Trzaskowski, doivent faire très attention à ces montées d’extrêmes et redoubler d’effort pour remporter une présidentielle loin d’être gagnée d’avance. Au premier tour, les candidats n’ont eu qu’1.8 point d’écart… Ces résultats choquants ont amené à des manifestations des deux candidats au second tour de l’élection présidentielle qui se déroulera ce dimanche 1er juin. Le Président roumain nouvellement élu était d’ailleurs présent à la manifestation du candidat Rafal Trzaskowski. 

C’est un symbole fort quand nous savons que ce premier a battu un rival d’extrême droite contre qui il avait plus de chances de perdre que de gagner. Précisons aussi que madame Le Pen a soutenu Karol Nawrocki, le candidat nationaliste à l’élection présidentielle polonaise. Ces deux manifestations démontrent bien les deux Pologne. Mais les résultats, eux, montrent une montée soudaine du poids de l’extrême droite dans le jeu politique. De plus, si le candidat nationaliste, libertarien et antieuropéen est élu, il y aura une cohabitation insoutenable entre ce premier et le Gouvernement pro-européen, libéraliste et de gauche de Donald Tusk.[7]

 

La Pologne est-elle influencée par les Etats-Unis ?

Le 27 mai, près d’une semaine et demie après le premier tour de l’élection présidentielle, s’est tenu la CPAC (conférence d’action politique conservatrice des Républicains américains), animée par madame Noem, la Secrétaire à la sécurité intérieure des Etats-Unis. Cette première a clairement affiché son soutien pour le candidat nationaliste Karol Nawrocki. Selon elle, il est là pour combattre le « wokisme » et le « globalisme », ce qui décrit bien l’aversion de l’administration Trump envers l’ouverture des frontières et décrit donc un protectionnisme assez prononcé. Elle a aussi mentionné que la Pologne devrait élire ce fervent acteur de la relation polono-américaine si la Pologne veut garder les 10 000 soldats américains qui y sont stationnés et le bénéfice de l’utilisation du matériel américain. 

Peut-être donc que la relation polono-américaine ne tient qu’au résultat du second tour… Rappelons aussi que la Pologne a préféré acheter du matériel américain après l’invasion russe en Ukraine. Son Ambassadeur à Paris avait précisé que la Pologne n’avait pas eu le choix, car elle avait demandé des devis à Rheinmetall et THALES et que ces deux entreprises n’avaient pas réussi à lui proposer des délais de livraison satisfaisants. Un autre point est que les divers orateurs qui se sont succédé lors de la CPAC n’ont presque pas mentionné l’invasion russe alors même que les intervenants polonais recommandent la défense de la Pologne face aux dangers extérieurs. Il est donc assez facile de dire que la Pologne n’est pas sous la coupe directe des Etats-Unis, bien évidemment, mais il y a une influence sous-jacente certaine.[8]


 

[7] Deux Pologne se font face à une semaine d’une élection présidentielle décisive, Hélène Bienvenu et Jakub Iwaniuk (Correspondants à Varsovie), Le Monde, le 26 mai 2025.

[8] Présidentielle en Pologne : l’administration Trump affiche son soutien au candidat nationaliste, Hélène Bienvenu (Correspondante à varsovie) et Baptiste Chastand (Correspondant régional à Vienne), Le Monde, le 28 mai 2025.