Le service national universel en question ?

17.11.2022

Par Lucie Piraux, étudiante en 1ère année du Diplôme Supérieur en Relations Internationales de l’ILERI, sous la direction de Mohammed El Oifi.

 

 

Le lundi 17 juin 2019, après plus d’un an de réflexion, le Service national universel (ou SNU) est devenu une réalité pour près de 2 000 jeunes volontaires de 16 ans. Alors que son existence et sa teneur étaient jusqu’alors largement méconnues, le déroulement de la première partie de la phase pilote du SNU a permis à la population de découvrir ce service dont certains jeunes furent d’ailleurs mis à l’honneur lors du dernier défilé du 14 juillet. Cette première expérience du SNU était une étape primordiale et attendue par les référents de ce service – à savoir le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse principalement représenté par son secrétaire d’État Gabriel Attal – ainsi que par ses concepteurs parmi lesquels figure en premier plan le groupe de travail mené par le général Daniel Ménaouine (1). Plus d’un mois après le déroulement de cette première phase du SNU, aucune conclusion n’a encore été rendue publique et les critiques et incertitudes demeurent. L’opinion publique reste divisée, en grande partie en raison des préjugés dont le SNU fait encore l’objet. Il semble ainsi nécessaire de préciser la nature du Service national universel afin d’évaluer sa pertinence et d’envisager son avenir.

Le Service national universel est un service composé d’une première période obligatoire d’un mois, ainsi que d’une deuxième période facultative pouvant durer entre 3 mois et 1 an (2). La période obligatoire est scindée en deux phases de deux semaines : une phase de cohésion et une phase dédiée à la réalisation d’une mission d’intérêt général. Quant à la période facultative, elle aura pour but d’inciter les jeunes à s’engager dans une mission de leur choix (dans le domaine de la défense et de la sécurité, de l’accompagnement à la personne, de la préservation de l’environnement ou du patrimoine…). Les possibilités concernant le SNU sont donc multiples et les jeunes restent maîtres de la plus grande partie de leur service : c’est à eux de choisir la mission de deux semaines dans laquelle ils souhaitent s’engager, de même qu’ils ne sont pas contraints de renouveler leur engagement.


Dans un communiqué de presse datant du 17 janvier 2019 (3), Gabriel Attal a rappelé les quatre objectifs principaux du SNU : accroître la cohésion et la résilience de la Nation en développant une culture de l’engagement ; garantir un brassage social et territorial de l’ensemble d’une classe d’âge ; renforcer l’orientation en amont et l’accompagnement des jeunes dans la construction de leurs parcours personnel et professionnel ; valoriser les territoires, leur dynamique et leur patrimoine culturel. Finalement, ce Service national universel voit ses objectifs résumés par la volonté du gouvernement de former la jeunesse française et de la sensibiliser aux enjeux contemporains que sont l’environnement, la défense, l’informatique, l’Europe et le patrimoine, etc…

Parmi les objectifs mentionnés, plusieurs existaient déjà au temps du service militaire : intégration sociale et professionnelle des jeunes les plus marginalisés, suivi scolaire, bilan de santé, etc. Mais gare aux conclusions trop hâtives, ce Service national universel a en réalité plus trait à un service civique obligatoire qu’à un quelconque service militaire


Après l’étude approfondie du SNU, une remarque doit en effet être faite : le Service national universel n’est pas un service militaire. On ne peut nier que le déroulement de sa phase de cohésion soit largement inspiré du service militaire : vie en collectivité, levée des couleurs avec hymne national, travaux d’intérêts généraux, port de l’uniforme… Tout autant de principes qui ont régi la vie en régiment des conscrits d’hier et qui régissent encore aujourd’hui celle de nos militaires. Quant aux phases d’engagement des jeunes, elles évoquent plus le service militaire tel qu’il était devenu au cours des années 1990 : un service militaire toujours plus effectué dans des institutions à caractère civil, ce qui était permis par la loi Debré de 1971 portant code du service national (4). Ainsi, hormis lors la phase de cohésion, la vie de nos conscrits du XXIe siècle ne ressemblera en rien à celle de nos aïeux. Le SNU est davantage militaire dans sa forme que dans son fond. Il est notamment prévu que les militaires ne représentent que 5 000 des 18 000 encadrants estimés nécessaires. Leur rôle devrait d’ailleurs se cantonner à la formation des cadres du SNU ainsi qu’à la simple sensibilisation des appelés aux enjeux de la Sécurité et de la Défense, dans le but d’en faire des acteurs de l’esprit de défense.


Remarquons finalement que si ce service est bien éloigné du service militaire qu’a connu la France au XXe siècle, le caractère militaire reste présent. Celui-ci est en réalité une nécessité juridique. En effet, l’article 4 § 3 de la Convention européenne des droits de l’homme présente quatre exceptions à l’interdiction d’un travail forcé ou obligatoire qui figure à l’article 4 § 2. Parmi celles-ci on peut notamment trouver « tout service à caractère militaire ». Ainsi, l’existence d’un volet militaire dans la composition du SNU permet au gouvernement de légalement rendre ce service obligatoire.

Le caractère obligatoire : voilà sans doute l’une des critiques majeures à laquelle doivent faire face les concepteurs du SNU ; une critique à la fois formulée par les familles et les jeunes, mais aussi par différents experts. Rendre le Service national universel est tout d’abord un défi théorique. Le président Emmanuel Macron n’a cessé de souligner le nécessaire caractère obligatoire du SNU, une opinion que déjà affirmaient les travaux du Groupe Solidarité de la Commission Armées-Jeunesse effectués entre 1994 et 1996 (5). L’obligation est notamment la garantie de l’égalité entre tous les jeunes français. Mais comment faire participer des jeunes en emploi ou des jeunes parents, sans impacter leur vie professionnelle ou sociale ? Les appelés ne sont pas tous préparés à affronter l’obligation du service. De plus, faire du SNU un service obligatoire impliquerait la prise en charge annuelle de près de 800 000 jeunes ; une prise en charge coûteuse qui n’a pour l’instant pas été clairement mesurée. Lors d’un discours le 18 mars 2017, le candidat Emmanuel Macron avait annoncé des « coûts d’environ 7 milliards d’euros pour la mise en place, puis 2 à 3 milliards d’euros en rythme de croisière » (6). Cette année, Gabriel Attal a quant à lui annoncé que la phase pilote devait coûter environ 4 millions d’euros (2 000 euros par jeune) et le SNU, 1,6 milliards d’euros à son rythme de croisière (7). Les chiffres sont donc largement incertains, ce qui participe à la contestation du Service national universel. Le nombre d’encadrants nécessaires de même que la simple pertinence de ce service semblent aussi poser problème. Plusieurs experts considèrent le SNU comme un palliatif au système scolaire actuel. Plutôt que la mise en place d’un service obligatoire, ceux-ci défendent l’intégration des objectifs du SNU dans le parcours scolaire ; une solution qui semble moins coûteuse et plus évidente.

Sans avoir à disposition les résultats qu’aurait pu tirer le gouvernement de la phase pilote du SNU, il reste possible d’envisager la durabilité du Service national universel à travers l’étude de différentes pistes.


L’opinion de la population est un premier indicateur de cette durabilité. Il semble aller de soi que l’avenir du Service national universel dépend presque essentiellement de l’aval de la population française, puisque la mise en place d’un service contesté aurait un coût politique trop élevé pour un gouvernement. Aussi, courant 2018, le groupe de travail du général Daniel Ménaouine a mené une large consultation de la population afin d’arranger le SNU aux objectifs de la population. Les résultats de cette consultation – rendus publics le 12 novembre 2018 – sont apparus favorables à l’établissement du Service national universel. Après présentation du projet aux sondés, 51% des jeunes se déclarent favorables aux SNU quand 27 % ne veulent pas l’effectuer. De plus, les jeunes sont près de 77 % à vouloir renforcer leur connaissance des droits et devoirs civiques ; ils se disent aussi intéressés par les sujets abordés : ils veulent à 39 % s’engager dans une mission environnementale et à 37 % dans une mission de défense. Quant aux acteurs économiques, associations et collectivités territoriales, ils se montrent de même particulièrement favorables au SNU même s’ils restent pour certains dans l’incertitude quant à leur rôle à jouer dans ce projet.


Autre indicateur de durabilité du SNU : la situation en Europe. Le service militaire est bien en déclin sur le continent européen. Depuis la deuxième moitié du XXe siècle, on ne compte plus les pays ayant abrogé leur service : le Royaume-Uni en 1960, la France en 1997, l’Espagne en 2001, l’Italie en 2006, la Suède en 2010, l’Allemagne en 2011, etc. Pourtant, parmi ces pays, nombreux sont ceux qui ont vu le débat d’un service obligatoire renaître. La Lituanie et la Suède ont réintroduit un service militaire, et de leur côté, la Croatie, l’Allemagne et la France envisagent des services obligatoires à caractère civique (8). Si la France est bien le premier pays a sauté le pas vers un service civique généralisé, elle n’est pas donc pas la seule à s’être penchée sur la question. De plus, la France trouve parmi ses voisins un pays dont elle pourrait bien s’inspirer : la Suisse. Celle-ci n’a jamais abrogé son service militaire. Mais si l’armée suisse s’appuie largement sur les citoyens, la conscription dépasse en réalité le strict cadre militaire et bénéficie à de nombreux domaines : pompiers, sécurité civile, milieux associatifs ou encore parlements cantonaux ou fédéraux. Cette conscription est considérée comme un véritable facteur d’intégration dans un pays cosmopolite. Lors d’un referendum en 2013, les Suisses ont voté à 73 % en faveur du maintien de la conscription obligatoire (9). Si le succès du service militaire suisse ne permet bien sûr pas d’envisager avec précision le futur du SNU, il peut toutefois servir de modèle quant aux formations et missions dont il se compose.

Si la phase pilote du Service national universel s’est finalement déroulée, elle n’a sans doute pas convaincu l’ensemble des détracteurs de ce projet et s’est rapidement retrouvée sous le feu des critiques. En raison de l’apprentissage des rudiments de la tenue militaire, le SNU a été considéré trop militariste pour certains, qualifié de bizzarerie ou de mascarade patriotique par d’autres (10). Plus de vingt ans après son abrogation par Jacques Chirac, le service militaire a bien disparu et son potentiel successeur tente de s’imposer. L’année prochaine, 40 000 jeunes devraient participer au SNU, cette promesse sera-t-elle tenue ?

Une conclusion encourageante peut néanmoins se dessiner. S’il est bien mené, ce Service national universel pourrait bien répondre aux attentes de nombreux Français : favoriser l’intégration sociale de tous, soutenir les collectivités territoriales, offrir des opportunités aux jeunes qui s’engagent… Il est pour cela primordial d’informer et de coopérer avec les jeunes et les parties prenantes au Service national universel, qui seuls seront capables de juger de l’acceptabilité du Service national universel. Il est aussi nécessaire de s’affranchir des jeux politiques sous-jacents à toute décision prise par un gouvernement. Le Service national universel doit être un outil sociétal et non pas politique, n’en déplaise aux détracteurs ou adeptes du SNU.

 

 

(1) Ménaouine, Daniel. Rapport relatif à la création d’un service national universel (Rapport d’information), Élysée, Paris, remis le 26 avril 2018, 76 p.

Ménaouine, Daniel. Rapport relatif à la consultation de la jeunesse sur le service national universel (Rapport d’information), Élysée, Paris, remis le 12 novembre 2018, 29 p.

(2). « Les grands principes du service national universel », Conseil des ministres du 27 juin 2018, Vie- publique.fr (http://discours.vie-publique.fr/notices/186001371.html).

(3) Attal, Gabriel (Communiqué de presse). « Service national universel : mise en œuvre dans treize départements pilotes dès juin 2019 », 17 janvier 2019.

(4) Gresle, François. « Le service national », Éditions PUF, Collection « Que sais-je ? », Paris, 1997, p. 92.

(5) Rémi, Aufrere-Privel. « La suspension du service militaire actif : le vécu », dans Pierre Pascallon (sous la direction de), Faut-il recréer un service national ?, Paris, Éditions L’Harmattan, 2018, p. 51-56.

(6) Macron, Emmanuel. Discours sur la politique de défense du 18 mars 2017, Hôtel des Arts et Métiers, Paris.

(7) Cortes, Anthony. « Qui fait quoi et qui paie ? La difficile mise en place du service national universel », Marianne, 14 mars 2019.

(8) Pierrepont (de), Emma. « Service militaire : où en est-on en Europe ? », Le Figaro, 17 juillet 2017.

(9) Votation effectuée le 22 septembre 2013 suite à la proposition du Groupement pour une Suisse sans armée (GSsA) de rendre la conscription facultative. Taux de participation : 46,4 %.

(10) Goupil, Mathilde. « À peine commencé, le service national universel déjà sous le feu des critiques », L’Express, 20 juin 2019.

 

Bibliographie

Pascallon, Pierre (sous la direction de, « Faut-il recréer un service national ? », Paris, Éditions L’Harmattan, 2018, 251 p.

Gresle, François, « Le service national », Éditions PUF, Collection « Que sais-je ? », Paris, 1997, 117 p.

Ménaouine, Daniel, Rapport relatif à la création d’un service national universel (Rapport d’information), Élysée, Paris, remis le 26 avril 2018, 76 p.

Ménaouine, Daniel, Rapport relatif à la consultation de la jeunesse sur le service national universel (Rapport d’information), Élysée, Paris, remis le 12 novembre 2018, 29 p.

Attal, Gabriel (Communiqué de presse), « Service national universel : mise en œuvre dans treize départements pilotes dès juin 2019 », 17 janvier 2019.

Macron, Emmanuel. Discours sur la politique de défense du 18 mars 2017, Hôtel des Arts et Métiers, Paris.

Pierrepont (de), Emma. « Service militaire : où en est-on en Europe ? », Le Figaro, 17 juillet 2017.

Cortes, Anthony. « Qui fait quoi et qui paie ? La difficile mise en place du service national universel », Marianne, 14 mars 2019.

Goupil, Mathilde. « À peine commencé, le service national universel déjà sous le feu des critiques », L’Express, 20 juin 2019.

« Les grands principes du service national universel », Conseil des ministres du 27 juin 2018, Vie- publique.fr (http://discours.vie-publique.fr/notices/186001371.html).